L’inutile triomphant

Le sentiment des choses, avant d’être le titre d’une exposition au FRAC, serait la traduction d’un principe littéraire japonais, le mono no aware, selon lequel on ne connaîtrait le cœur des choses qu’à travers les sentiments qu’elles éveillent en nous. Ce premier volet d’une série d’expositions proposée par deux commissaires invités au FRAC , Elodie Royer et Yoann Gourmel, propose un parcours qui rassemble plusieurs artistes et plasticiens autour de la figure de Bruno Munari (1907-1998), futuriste milanais des années 1930 et co-fondateur du Mouvement d’Art Concret.

Ce créateur protéiforme fut simultanément peintre, sculpteur, designer, illustrateur, concepteur de livres et de fourchettes parlantes, graphiste, écrivain, cinéaste et pédagogue. Il défendait l’idée d’un designer triomphant, unique garant d’un lien avec la modernité à une époque de scission entre l’art et l’industrie. Machines inutiles, sculptures de voyage, livres illisibles, xérographies originales réalisées au photocopieur se partagent cet espace avec d’autres œuvres d’artistes plus contemporains dans un même esprit de surprise, de fragilité transitoire et d’économie de moyens.

L’exposition commence avec quelques pièces de Robert Filliou. Le visiteur est invité à tourner les roues de l’installation Danse poème aléatoire collectif… et à jouer le jeu des mouvements à réaliser, désignés au hasard. On pourra aussi savourer cet hymne à l’attente offert par The Play, collectif artistique japonais des années 60 qui avec le projet Thunder a construit chaque année pendant dix ans une tour en bois équipée d’un paratonnerre sur des montagnes de Kyoto pour capter un éclair, sans jamais réellement observer ce phénomène.

On retiendra de Bruno Munari l’impression folle de légèreté des astucieuses lampes Falkland présentées à l’entrée, la malice de ses Sculptures de voyage en papier, pliables et dépliables, mais aussi la série des Livres illisibles pour enfants, que l’on peut parcourir assis dans l’Abitacolo de la dernière salle, étrange lit-cabane pour enfant.

L’exposition Le sentiment des choses est une réussite. L’esprit de Munari est là qui tisse le lien entre les objets présentés, brouillant habilement les éternelles frontières entre art et design comme un épais réseau de figures étonnantes et fragmentaires. Autant d’assemblages et installations qui ne produisent rien mais marquent en nous ce sentiment... d’un inutile triomphant.

Le sentiment des choses, jusqu’au 26 février 2012 - FRAC Le Plateau - Angle de la rue des Alouettes et de la rue Carducci, 75019 Paris.

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