L’architecte, la mode et la modernité
Why a Man should be well-dressed ?

Recension écrite par Émilie Hammen.

Les éditions Metroverlag viennent de publier la traduction, de l’allemand vers l’anglais, d’un ensemble de textes de l’architecte et théoricien Adolf Loos sous le titre Why a Man Should Be Well Dressed - Appearances can be revealing (Pourquoi un homme se doit d’être élégant - les apparences en disent long, traduction libre).

Qu’un architecte se pose la question du paraître et du vêtement mérite que l’on s’y attarde. Et c’est avec intérêt que l’on retrouve le regard du penseur autrichien, les positions de l’auteur du célèbre Ornement et crime appliquées à ce domaine. Adolf Loos est en effet connu pour son refus véhément de l’ornement et du décor dans son projet d’architecture moderne. On lui doit plusieurs œuvres à Vienne, notamment la « Haus am Michaerplatz » ou « Looshaus », initialement un magasin de couture dont la sobriété radicale fit grand scandale. Fervent défenseur de la modernité, Loos nous démontre comment la mode, à l’image des autres formes d’arts appliqués, est le support et le témoin de l’élan moderne.


Looshaus sur la Michaelerplatz, Vienne.

L’ouvrage rassemble des textes parus dans différentes publications de l’époque, de 1908 à 1928. Y transparait l’image d’une Vienne fascinée par le progrès, un progrès souvent incarné par l’Angleterre, « a country where the highest percentage of modern, fashionable people live » (« un pays avec la plus grande concentration d’individus modernes et à la mode », t.l.), mais aussi encore fidèle à ses folklores et ses traditions. La figure de Loos dénote ainsi parmi les postures de ses contemporains les plus conservateurs et s’évertue à vanter les mérites du progrès dans les moindres détails de la parure : efficacité des chaussures lacées héritées de la marche ou du cyclisme, confort des chaussettes en maille qui remplacent celles tissées en lin, etc… L’auteur, qui déclare ne vouloir vivre dans aucune autre époque que la sienne, constate avec grand enthousiasme l’avancée de la praticité dans le vêtement.

Loos nous livre également quelques réflexions des plus actuelles sur la mode et la modernité : l’idée que la première progresse plus lentement qu’on ne l’imagine : « Objects that are really modern stay so for a long time » (« Les objets réellement modernes le restent longtemps », t.l.). On s’interroge alors sur le cycle d’une mode, d’une tendance. « If one hears of an item of clothing that is out of date the very next season, then one can be sure it was never truly modern » (« D’un vêtement qui est passé de mode dès la saison suivante, on peut être certain qu’il n’a jamais vraiment été moderne », t.l.).
Le théoricien se penche aussi sur la question du luxe : « Luxury is a very necessary thing. Someone must pay for quality labor » (« Le luxe est une chose absolument nécessaire. Quelqu’un doit payer le travail de qualité », t.l.) et souligne l’intérêt à ce qu’un petit groupe d’artisans soit capable d’atteindre la perfection à travers un labeur pénible allié au talent et à la persistance.

Adolf Loos et Claire Beck, sa future épouse.
Mais on retiendra en particulier l’article intitulé « Ladies Fashion » qui, fidèle à la morale bourgeoise de son temps, dépeint la femme comme vitrine des richesses de son mari. Tandis que l’homme du XIXe siècle bourgeois abandonne les broderies et débordements de rubans pour la sobriété du tailleur, la femme, nécessairement épouse, témoigne par sa parure du statut social du couple. Loos apporte une touche amusante à cette théorie déjà largement répandue dans les histoires de la mode. Selon lui, l’essence de la féminité étant de se retrouver aux côtés d’un homme puissant, la femme doit tout mettre en œuvre pour gagner son amour. C’est à travers ses vêtements, expression mystérieuse de sa volupté, qu’elle l’obtient et le conserve. Ceux-là doivent alors correspondre à la sensualité de l’homme et de son époque, « the social environment of the time » (« le contexte social de l’époque », t.l.). Une donne qui varie, selon l’auteur, en fonction des mouvements artistiques, en particulier littéraires. La féminité exacerbée des faux-culs ferait ainsi écho au roman réaliste, la femme-enfant aux influences parnassiennes…
Loos nous livre ici une définition très pertinente de la mode : affranchie de toute figure de prescripteur, elle est une incarnation de l’époque, une expression du présent tel que le composent la peinture, la littérature, … et les mœurs sociales.

Quoi de plus logique alors pour Loos d’annoncer, avec au moins deux décennies d’avance, la simplification et donc la modernisation du vêtement féminin : « Silks and satins, ribbons and bows, frills and furbelows will lose their appeal. They will disapear – and rightly do so. » (« Soies et satins, rubans et nœuds, volants et falbalas seront moins séduisants. Ils disparaîtront - et cela, à juste titre », t.l.).

Émancipée et indépendante, la femme moderne, tout comme l’architecture, sera libérée de l’ornement !

Why a man should be well-dressed – appearances can be revealing, Adolf Loos, Metroverlag, 2011. Traduction anglaise de Michael Edward Troy. Images : © Metroverlag.

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