La répétition du différent
Parreno à Porto

Article écrit par Fanny Léglise. Images : Installation views, “Philippe Parreno : A Time Coloured Space”, Serralves Museum of Contemporary Art, Fundação de Serralves, Porto, from 03 FEV 2017 to 07 MAI 2017. Photos : © Andrea Rossetti.

Pour sa première exposition au Portugal, l’artiste Philippe Parreno a investi la fondation Serralves dans un dialogue fructueux avec le bâtiment d’Álvaro Siza Vieira. Bulles irisées, stores animés, prises électriques en pousses folles et sapins de Noël givrés prennent d’assaut l’architecture rigoureuse du maître portugais à la plus grande curiosité des visiteurs.

Du 3 février au 7 mai 2017, la Fundação de Serralves-Museu de Arte Contemporânea à Porto a accueilli à l’initiative de sa directrice Suzanne Cotter une installation présentant de nombreuses œuvres du plasticien français depuis les années 1990. En référence au livre du philosophe Gilles Deleuze Différence et répétition (1968), chaque pièce est une récurrence de la précédente, dont elle se différencie par de subtiles variations colorimétriques, sonores ou spatiales, illustrant ce que Deleuze nommait :

la « répétition du différent ».

Artiste protéiforme, Philippe Parreno joue avec nos préjugés. Un musée n’est pas seulement un écrin statique et muet obligé de s’effacer pour mieux sublimer les œuvres présentées. Au contraire, il peut jouer sa partition dans l’orchestration artistique en cours. A Time Coloured Space s’organise sur le modèle mathématique de la fugue, entre répétition et contrepoint.

Pour cela, l’artiste investit les treize pièces du musée, qui révèlent, au gré de la progression des visiteurs, non pas tant les objets montrés que leur présentation, définie par la régularité et le rythme de leurs apparitions.

L’espace, ponctué d’événements, s’anime au fil de la visite. Les stores se lèvent et s’abaissent selon la partition de la Fugue n°24 en ré mineur de Dimitri Chostakovitch. Pulsations lumineuses et sonores se font écho de salle en salle. Les cimaises deviennent mobiles et s’émancipent de leur fonction de support pour devenir objet à part entière. How Can We Know the Dancer from the Dance (2012-2017) se compose ainsi d’un mur courbe qui trace des mouvements circulaires dans l’espace sous une plateforme suspendue dont les spots représentent les étoiles surplombant Porto.

L’exposition se fait automate, machinerie savante, dans un jeu de variables contrôlé par les algorithmes qui régissent les systèmes techniques du musée. Le passé, représenté par les œuvres produites au cours du temps, se mêle au futur, marqué par une exposition en permanence en train de s’écrire.

Le plafond n’est plus un élément technique qui doit s’effacer au profit des cimaises. Il accueille des ballons-bulles de bandes dessinées gonflés à l’hélium qui mettent en évidence le dispositif de « tables suspendues » et de verrières de régulation de la lumière des salles. Leur silence paradoxal se mue en puissant langage visuel. Oranges, rouges, violets, dorés, transparents, noirs, les Speech Bubbles (1997-), bien que vides de mots, s’agrègent pourtant dans un dialogue puissant avec Alvaro Siza.

Les prises électriques ne sont pas en reste. Les AC/DC Snakes (1995-2010) émaillent le plancher des salles d’exposition, révélant les dispositifs techniques habituellement dissimulés. En écho, le grésillement des blocs de sortie de secours et des appliques murales rendent la fée électricité non seulement palpable mais aussi sonore. Des panneaux monochromes aux teintes fluorescentes s’installent çà et là. Intitulés Fade to Black (2003-2013), ils contiennent les dessins phosphorescents d’œuvres non réalisées qui ne se livrent que dans l’obscurité la plus totale.

Pour les observer, il faut s’enfermer dans une salle et attendre le noir le plus complet, au nez des gardiens.

En contrepoint, la série Fireflies, aux murs de la plupart des salles d’exposition, donne à voir près de 200 dessins à l’encre représentant des lucioles, réalisés entre 2012 et 2016. Noir, électricité, lumière, son et silence investissent une architecture magnifiée par les événements qu’elle accueille.



De menus objets sont traités en œuvre à part entière – ventouses d’accroche de tableaux, caissons en plexiglas de présentation, prises précitées, dispositifs d’occultation – dans un renversement de nos attendus. C’est aussi le sujet de Fraught Times : For Eleven Months of the Year it’s an Artwork and then December it’s Christmas (2008-), qui présente des sapins de Noël en fonte d’aluminium surmontés d’étoiles variées. Érigés au statut d’œuvre d’art onze mois sur douze, ils reprennent leur fonction première d’objet décoratif au mois de décembre.


Furieusement décalée, précieusement ludique, la présentation demeure exigeante. Son principe se dérobe à un survol rapide. Il faut attendre, déambuler, revenir sur ses pas, discuter avec les gardiens pour voir lentement les œuvres apparaître et signifier. Et saisir l’intelligence de ce happening qui mêle la musique contemporaine, l’architecture, la philosophie, les mathématiques, les arts et leur rencontre.

Philippe Parreno : A Time Coloured Space, Serralves Museum of Contemporary Art, Fundação de Serralves, Porto, du 03 février 2017 au 07 mai 2017.

Images : Installation views, “Philippe Parreno: A Time Coloured Space”, Serralves Museum of Contemporary Art, Fundação de Serralves, Porto, from 03 FEV 2017 to 07 MAI 2017. Photos: © Andrea Rossetti

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