L’installation est simple, l’effet saisissant.
En appliquant le principe du sténopé, Romain Alary et Antoine Levi investissent votre appartement pour en faire une camera obscura grandeur nature et vous plongent ainsi dans une ambiance écliptique, celle de la perception d’une vue plein jour filtrée par l’obscurité soigneusement aménagée de la pièce.
Il s’agit d’un procédé optique élémentaire : une restriction d’entrée de lumière dans un volume sombre et clos projette des images inversées à l’intérieur même de ce volume… voici comment pourrait se définir le sténopé. Ce principe de projection a déjà été exploité sous diverses formes et dans différents lieux, notamment dans des pièces de vie, comme le démontre le travail connu du photographe Abelardo Morell.
L’approche de ce phénomène proposée par Romain Alary et Antoine Levi est cependant différente. Il s’agit dans un premier temps de photographies composées entre image extérieure projetée et intérieur existant, dont les superpositions se révèlent parfois étonnantes. Ainsi, des spatules, des ciseaux et autres ustensiles de cuisine arrivent à rivaliser avec des grues de chantier, tandis qu’une église se trouve à veiller le lit d’une chambre à coucher, ou encore qu’un lustre s’élève au milieu d’un enchevêtrement de façades haussmanniennes…
Mais leur travail ne s’en tient pas aux plans fixes : tous deux formés aux métiers de l’image, c’est principalement sous la forme du média vidéo que leur appropriation du sténopé se réalise. En effet, la faible luminosité nécessite des temps de pose plus longs qui les amènent à travailler en “time lapse” et leur permet ainsi de retranscrire ce phénomène dans le temps et dans l’espace, lorsque la vue projetée s’y prête : mouvements urbains, variations de lumière, ciel défilant… autant de séquences à saisir qui singularisent leurs sténopés comme phénomènes vivants.
Par ces réalisations de montages vidéo, c’est le décor extérieur tout entier qui s’anime, à la fois inversé, projeté et appliqué sur les murs et les plafonds, plié aux moindres recoins de l’appartement. Cette projection changeante, étendue et parfois hors d’échelle anime un espace immobile et clos, aux objets ordinaires.
Projet participatif, j’ai ainsi eu l’occasion de prêter mon humble deux pièces annapurnesque parisien.
L’expérience réelle est troublante, l’immersion absolue.