À propos d’OX
1991-2026...

Article écrit par Julien Van Anholt.

OX échappe aux définitions. Cette publication mensuelle se présente comme une « revue » depuis sa création en 1991. Elle refuse pourtant une grande partie des codes du genre…


OX n’est pas diffusée. OX ne se trouve pas en librairie, et il est impossible de s’y abonner. OX ne comporte pas de sommaire, n’est pas ouverte aux collaborations, ne fonctionne pas par thématiques. Elle est le fait d’un seul et unique auteur, Philippe Clerc, qui endosse donc le rôle de contributeur, mais également de directeur, rédacteur en chef, éditeur, designer graphique, imprimeur, façonnier et diffuseur-distributeur de la revue. Ce qui justifie peut-être d’emblée que le tirage d’OX soit si faible : une cinquantaine d’exemplaires à ses débuts, quand chaque numéro est aujourd’hui imprimé en sept ou huit exemplaires seulement. Un tirage si dérisoire qu’il confère une dimension presque secrète au projet de Philippe Clerc – et marque superbement la vanité de tout périodique.

Si OX contredit les principes fondateurs des revues, sa périodicité en fait cependant un modèle. Sa parution est exemplairement régulière depuis plus de trente ans. La revue est dotée d’un ISSN et Philippe Clerc remplit scrupuleusement une autre obligation légale : un exemplaire de chaque numéro est déposé à la BnF à parution.


Litanie d’images et élan expérimental


Une succession de photographies.
Souvent des silhouettes, sur des plages proches. Des anonymes. Des inventaires d’objets qu’on dirait trouvés.








Une litanie d’images, des aplats de noir plus ou moins chargés d’encre, un rendu parfois aléatoire, des recherches systématiques sur les strates et sur la dégénérescence, sur les détériorations successives permises par les photocopieurs.




Abstraction progressive et motifs flous,
ou figuration lente par le dé-zoom (Portrait, n° 111). Couleurs tues, natures mortes, peu de netteté des propos et des visages.






Le contenu photographique reproduit dans OX pose toujours question. Ce qu’on croit deviner de chaque situation est laissé en suspens. Des amorces de narration se succèdent et déçoivent (ou nous comblent, si l’on veut bien prolonger le récit individuellement, par l’imagination).

La lecture de plusieurs numéros permet de tirer des fils, de dégager des thèmes récurrents, mais les sujets restent distants. Et cette distance troublante est renforcée par les titres, vagues, qui annoncent chaque numéro. Récits (3), Calais (3), Carnet 1, Chemins de fer de l’U.R.S.S., Notes (2), Rome, 1980 ou encore Relevés (01) sont autant de titres faussement neutres. Leur objectivité feinte dissimule mal les intentions narratives qui président à OX. La revue elle-même, par sa sobriété et en sa qualité d’objet assimilable à un document d’archives, laisse poindre une organisation rigoureuse au service d’un projet très spécifique. Sous les couvertures, on découvre une attention aux détails remarquable et un sens aigu de la distribution des signes. En feuilletant quelques pages, petit à petit, on se familiarise avec le rythme et l’approche personnels de la photographie qui sont ceux de Clerc.


Un élément en particulier vient ajouter à l’étrangeté produite par la revue : les images sont le plus souvent imprimées sur du papier-calque, ce qui génère des superpositions et induit un jeu incessant sur la répétition et la variation. À l’opacité du contenu répond la transparence du support, le calque occasionnant un glissement des images d’une page vers une autre, multipliant les lectures possibles et chargeant imperceptiblement chaque signe d’un sens différent.

OX, objet simple, hors tout ostentatoire

Les moyens limités que Philippe Clerc s’est donnés structurent la revue. Les choix de fabrication, pauvres, sont immuables. Les principes graphiques sont élémentaires. La typographie s’est imposée spontanément, dictée par l’achat d’un modèle de machine à écrire au moyen de laquelle chaque couverture d’OX était composée jusqu’au numéro 300 environ. Ce dépouillement est intimement lié à la visibilité restreinte de la revue.

Le format d’OX, inchangé depuis 1991, est celui d’un strict A4 (210 mm × 297 mm). Sans doute une banalité commode, voire nécessaire, pour assurer la production régulière sans trop s’encombrer de questions formelles. La couverture en carton gris recyclé 160 g est ponctuée des habituelles informations qui doivent y figurer : nom de la revue, numéro et titre, dans un ordre toujours identique. La bande adhésive noire faisant office de reliure souligne la verticalité de l’objet. Les mentions légales et l’adresse postale à laquelle contacter Philippe Clerc apparaissent systématiquement en troisième de couverture. Exception faite de ces mentions, le texte est absent de la plupart des numéros. L’intérieur est rarement paginé.

*Sur ces questions, nous renvoyons aux travaux d’Anne-Marie Christin, proche de Philippe Clerc, dont l’œuvre est aisément accessible chez Flammarion.

Cette combinaison curieuse concourt à l’énigme générale : aucun indice quant à la nature du projet n’est offert, comme si la sévérité formelle d’OX empêchait par avance tout écho écrit aux photographies. Cet écart inhabituel entre une image et sa présentation lacunaire surprend et intrigue. Les photographies semblent ici d’autant plus obscures qu’elles sont fortement contextualisées d’un point de vue graphique, qu’elles sont agencées au moyen de codes structurants, martelés à l’identique sur des décennies. À mesure que le langage manque pour éclairer la démarche précédant la mise en pages, l’hermétisme s’accroît*.

Avance sur publication

OX – pour « bœuf », en anglais – porte bien son nom de labeur. Le travail de fond que demande une telle revue coïncide nécessairement avec la vie de celui qui l’anime.

Le premier numéro date de 1991,
et la revue qui prétend être mensuelle
est aujourd’hui en avance sur publication puisque le numéro 412, achevé de fabriquer en juillet 2019, indique la date
de janvier 2026.



En dépit de sa « confidentialité » – terme fréquemment avancé par les critiques, là où « discrétion » dirait plus du trajet de Philippe Clerc –, OX a fait l’objet de plusieurs expositions. La revue a notamment été présentée par le Centre des livres d’artistes à la Galerie du Caue de la Haute-Vienne (Limoges, 14 nov. – 16 déc. 2006) ainsi qu’aux Grands Moulins (Paris, 6 déc. 2018 – 31 janv. 2019), à l’initiative du CEEI – Centre d’étude de l’écriture et de l’image. La raison en est simple : l’ampleur du travail de Philippe Clerc, l’intégrité sourde de sa démarche et sa manière singulière d’aborder le statut de l’image, en ordonnant tant d’images sans médiation et en recourant à la photocopie sur calque (technique qui implique que toute reproduction se désigne comme telle, trahisse immédiatement son statut d’image déclinée et itérable), constituent un vaste sujet d’études.


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