L’Impossible
l’autre journal

Propos recueillis par Camille Bosqué.

Rencontre avec Julie Rousset autour d’un incroyable torchon.

Voilà encore un journal à la fois présent en librairie et en kiosque ! L’Impossible, conçu par Michel Butel dans le spectre de L’Autre journal, est un mensuel d’une centaine de pages, imprimé sur un papier fin et mat affichant un graphisme irréprochable, percutant et sobre. On trouvera bientôt partout son 3e numéro du mois de mai.

C’est une entreprise sans publicité, indépendante, qui mêle journalistes, écrivains, philosophes, artistes, penseurs, mais aussi des hommes et des femmes plus ou moins anonymes qui dans ces pages deviennent "des voix et des pensées que personne, ou rien, ne laissait présager". L’Impossible nous parle du monde, de nos vies, de nous, d’une réalité commune prise à bras-le-corps par des pensées unies en kaléidoscope dans un registre à la fois intime et universel, oscillant quelque part entre l’anecdote et l’actualité brûlante. On y trouve des récits, chroniques, photographies, dessins, textes courts et longs, notes engagées, lettres ouvertes. C’est ce qu’on pourrait appeler un journalisme poétique et subjectif.

Car il y a un charme flou dans L’Impossible, dans sa façon de ne pas faire de politique de manière trop directe, d’être en retrait des débats amers qui agitent les médias tout en étant au cœur des grandes questions contemporaines. Il n’y a pourtant pas de doute, L’Impossible est le fruit d’une conception politique du journal.

Militant masqué, Michel Butel est un rédacteur en chef omniprésent, drôle de personnage animé par un mélange de colère, d’amour de la littérature, d’utopie, de rêve, un fatras d’idéaux pointés dans une seule et même direction passant par la parole, le témoignage, le "message". Michel Butel, au micro d’Alain Veinstein sur France Culture avait dit :

Ce journal, je ne l’aurais jamais fait tout seul, je ne pouvais pas le faire avec d’autres personnes que ceux qui m’ont rejoint.

Pour en savoir plus, Strabic est allé à la rencontre de Julie Rousset, chargée de la conception graphique de L’Impossible. Quelle place pour une jeune graphiste dans un tel projet et quel sens donner alors à l’esthétique de ce journal ?


Strabic : Comment as-tu rencontré Michel Butel et que vous êtes-vous dit la première fois que vous avez parlé de son projet ?

Julie Rousset : Je ne fais pas partie de la génération de L’Autre Journal. Je ne connaissais ni Michel Butel, ni son travail. Je n’avais jamais bossé pour la presse. La rencontre avec Michel s’est faite par un heureux hasard et par l’intermédiaire de quelques amies. J’ai un souvenir plutôt raz-de-marée de Michel en train de me parler de L’Impossible pour la première fois… un flot ultra enthousiaste, impatient, débordant ! Une des premières phrases qu’il a dû sortir a été :

Je veux une liasse, un torchon !

Et puis il y a eu le mot "urgence" qui est revenu de manière récurrente. Ces quelques mots sont devenus par la suite comme des balises qui m’ont guidée dans la façon de penser et de créer cet objet. Cet objet avait déjà une âme sans avoir encore pris forme.

Et tant que le journal n’avait pas pris forme, il n’existait pas.

Une partie très importante dans la conception de cette maquette a été de se voir et de s’écouter, de multiplier les rencontres et les discussions, avec Michel Butel et Béatrice Leca [directrice adjointe du journal, ndlr], de créer une forme d’intimité autour de cet objet et de trouver un langage commun. À partir du moment où on a eu entre les mains un objet qui était devenu ce que l’on projetait ensemble, tout s’est enchaîné très vite : L’Impossible avait trouvé sa forme, c’était bien notre journal !

Comment décrirais-tu la vie dans les coulisses de la rédaction de L’Impossible ?

Hyper joyeuse. Parce que c’est une aventure géniale pour tout le monde. Parce que tout le monde en a envie.

Et surtout, parce que L’Impossible est devenu notre projet à tous et le projet de chacun. Tout le monde le porte à sa manière. On est une petite équipe très hétéroclite, avec de grands écarts d’âge, des personnes qui ont participé à L’Autre Journal et d’autres qui découvrent le milieu de la presse. La plupart d’entre nous ne se connaissaient pas il y a quelques mois encore.

Pour caricaturer les choses, on s’est retrouvé autour d’une table début janvier et on s’est salué : "Bonjour, il paraît qu’on va arriver à faire un journal ensemble, il paraît que malgré l’argent que nous n’avons pas et malgré l’état de la presse, on va le faire et que ça va marcher !"
Puis on s’est découvert tout en travaillant sur le n°1… et on a appris à faire ce journal ensemble !

C’est vrai que quand Michel Butel raconte L’Impossible, il fait toujours référence à l’équipe, au cercle des collaborateurs et des participants comme si chacun avait un rôle essentiel pour l’existence du journal...

Oui, on est une très petite équipe : le noyau dur du groupe doit être de six ou huit personnes. Chacun d’entre nous est donc essentiel dans le fonctionnement du journal parce que chacun d’entre nous est acteur du journal et prend à bras le corps sa propre partie. À la maquette, il y a Valérie Tortolero (graphiste/maquettiste à L’Impossible depuis le tout premier numéro) et moi-même.

Ni l’une ni l’autre n’avait travaillé dans la presse. On a vraiment appris à deux et sur le tas à monter un numéro. Maintenant, on tient les rênes et on nous fait confiance.

Michel Butel défend depuis toujours l’idée qu’un journal est d’emblée politique parce qu’à l’inverse du livre il se compose nécessairement à plusieurs, mais aussi par cette volonté de parler du monde, au présent. Peut-on penser qu’il existe un type de graphisme, de mise en page, de choix de typographies propres à ce type de revendication ? Quelles ont été tes influences ? Est-ce que tu penses que ton travail et tes choix pour la maquette de L’Impossible sont imprégnés d’une manière ou d’une autre de cette différence, cette "parole" nouvelle, manifeste ? Comment as-tu imaginé le "style" esthétique de L’Impossible ?

Je cherchais une forme de simplicité, de brutalité dans le ton, quelque chose de direct, franc, sincère. Je me suis beaucoup intéressée et amusée des codes du quotidien, de cet objet qui appartient et qui s’adresse à tout le monde de son approche élémentaire de la typo et de la composition. Je cherchais à retrouver cette impression de foisonnement, de brouhaha, ce bordel organisé, ce paysage typographique rythmé, presque sonore… avec des propos chuchotés comme d’autres criés.

Le contenu de L’Impossible est pour moi une sorte de compilation de voix toutes différentes, toutes particulières.

Un jour Michel a sorti de sa poche un quart du format du Monde découpé directement dans le journal, un drôle d’objet, une sorte de fétiche qu’il traînait avec lui depuis des années. Tout semblait être là. Le torchon, la liasse, cet objet fragile et attachant qu’on roule dans sa poche. Cet objet avait déjà une identité très particulière avec ses textes trop proches de la marge, ses images hors champs, ses accidents, cette sensation de débordement, de cadrage de recadrage de l’information, ce contenu accidenté qui ne paraissait pas figé. J’ai trouvé cet objet génial ! Et j’ai poursuivi dans cette direction.

Aujourd’hui chaque numéro a sa part d’improvisation et fonctionne comme une sorte de paysage à organiser et qui doit trouver sa propre rythmique.

Justement, en tant que jeune graphiste, quelle influence le fait de participer au cercle de L’Impossible peut-il avoir sur ton travail à venir et qu’y auras-tu appris ?

C’est super difficile d’avoir du recul et de tirer des conclusions de ce qui est en train de se passer, là, maintenant... J’ai l’impression que la plupart des choses que j’apprends ou que je comprends à L’Impossible se passent pour beaucoup d’entre elles au-delà du graphisme ! C’est une première pour moi que de mettre en forme un objet quasi vivant, qui s’adresse et qui parle aux gens.

En ça, L’Impossible a plus de sens qu’aucune autre commande que j’ai pu faire jusqu’ici.

Et L’Impossible semble pouvoir être toujours en mouvement ! Michel Butel écrivait pour présenter le premier numéro : "Nous avons inventé ce petit objet pour les nuits blanches et les jours sans fête. Lisez-le, dispersez-le, donnez-le : faites de la politique.


Numéro 3 de L’Impossible à paraître en mai, disponible en kiosques et en librairies, 5€ - L’Autre journal, 1984-1992, une anthologie, éditions des Arènes.

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