Le kit passe à la trappe

Critique écrite par Caroline Bougourd en partenariat avec Nonfiction.fr

La collection Anarchitecture des Éditions Alternatives a sensiblement changé de peau : une maquette moins hippie, plus sobre et dont les couvertures désormais ajourées évoquent les publications destinées aux enfants. Cette mue s’est accompagnée de la sortie de nouveaux opus, notamment Maisons en Kit, toujours en adéquation avec l’objectif d’explorer les pratiques prospectives, marginales et visionnaires du bâti et de l’espace.

Désordre stimulant ou chaos confus ?

Au premier abord, l’ouvrage est agréable à feuilleter et paraît moins fouillis que ce à quoi la collection Anarchitecture nous avait habitués. Mais ce n’est qu’en apparence, car le contenu du livre a tendance à ouvrir toutes sortes de chemins de traverses, dans un joyeux mélange. Après tout, pourquoi pas dans le cadre d’éditions « Alternatives » ?

L’ambition est clairement d’interroger le retour sur le devant de la scène architecturale de toutes sortes de maisons en kit mais égare parfois le lecteur en chemin. Déjà, en choisissant d’élargir la définition de ce qu’est une maison en kit [1] "aux expériences et recherches sur une autre façon de concevoir la maison", les auteurs prennent le parti d’avoir un objet de recherche bien plus flou que le titre ne le laissait entendre. Et brassent large en cherchant à voir comment "la construction en kit permet de répondre de façon très concrète aux préoccupations actuelles en matière de société et d’environnement".

Fincube © Studio Aisslinger

Au confluent de la maison et de l’objet

Si la première partie relatant la « Petite histoire des maisons du futur » rédigée par Carine Merlino [2] présente une bonne synthèse, elle n’apporte rien de bien nouveau et s’avère parfois un peu désorganisée… Encore. Néanmoins, le rapprochement proposé entre le Crystal Palace de Paxton et les chaises de Thonet comme ancêtres de la maison en kit est judicieux et permet de placer ce mode de construction du côté du design d’objet plus que de celui de l’architecture.

Les éléments clés de l’histoire du logement en kit et/ou préfabriqué sont ensuite intelligemment évoqués : les maisons de Manning pour les émigrants anglais en partance pour l’Australie, le système Balloon Frame américain analysé par Giedion, le modèle T d’Henri Ford… Et les grands noms de l’architecture préfabriquée ne sont pas en reste : de Jean Prouvé à Jean Benjamin Maneval, en passant par Archigram et Matti Suuronen, la plupart soumis à l’influence de la science-fiction et de la conquête spatiale.

Mais parfois l’auteure s’égare dans la vie personnelle des concepteurs, comme ce long passage assez anecdotique sur Buckminster Fuller, aux réalisations par ailleurs remarquables. Son interprétation du film de Buster Keaton One week comme l’histoire d’une maison vivante, éphémère et non-imposante reste discutable mais propose une lecture plus originale que la simple critique burlesque de la maison en kit.

Finalement, là où Carine Merlino est la plus intrigante, c’est lorsqu’elle relate les expositions de maisons telles des attractions ludiques dans les années 60, que ce soit au Salon de la Maison idéale à Londres ou à Disneyland en Californie [3].

Drop House © D 3 architectes

Le poids des mots, le choc des images

Mais la partie, pourtant centrale, qui sabote ce livre est le texte de Claude Vergnot-Kriegel [4] sur les projets contemporains.

L’auteur y accumule des banalités telles que : la maison en kit est un “objet fonctionnel à forte valeur sociale et symbolique qui touche intimement la sphère privée” ou encore “la maison abrite, protège, rassure, unifie”…

Corrélée à cet enchaînement de lieux communs, une certaine paresse intellectuelle dans le non-choix de classement se trouve légitimé par "l’immense diversité de ces créations nous as conduits à les classer par ordre alphabétique plutôt que par type, ce qui nous semblait trop présomptueux au regard de leurs différences notables à tous points de vue". Par moments, l’auteur se veut même polémique en partant en croisade contre la réglementation ou en critiquant maladroitement le style régionaliste d’un certain nombre de maisons.

Mais ce qui finit de décrédibiliser le texte, ce sont les dessins d’enfants, destinés à illustrer une "vision infantile de ce qu’est la maison"… La démonstration ne repose ici sur rien, et si le fond du propos pourrait être défendable ou intéressant, l’argumentation agace par sa vacuité.

Les fiches techniques des projets artistiques ou architecturaux présentés à la suite de ce texte valent -heureusement- le coup d’œil. Certains projets, plus ou moins connus, étonnent, même si la récurrence du réemploi de containers et/ou de palettes de grande distribution lasse.

Mais il s’agit d’un panorama stimulant de maisons contemporaines, plus ou moins en kit.

La dernière partie de l’ouvrage concernant les « Kits urbains » et à nouveau dirigée par Claude Vergnot-Kriegel aurait pu être intégrée directement dans ces « Projets contemporains », tant les problématiques comme les projets se rapprochent et n’apportent pas réellement de point de vue différent.

MDU © Lot-Ek

MDU © Lot-Ek

Flou artistique

Cependant, l’originalité du livre et peut-être son intérêt se trouve dans la partie « Penser le kit autrement », dirigée par Étienne Delprat [5]. Le livre prend alors un tournant plus engagé, plus politique, bien qu’un peu bancal. L’ambition est de renouer avec "l’esprit éthique et humaniste qui animait le kit à l’origine". Le texte introductif ouvre toutes sortes de pistes de réflexion fertiles comme l’idée d’une démarche inductive, le kit comme valeur d’apprentissage, le passage de la ville à l’objet, le processus de construction au centre du projet…

Autant de problématiques qui auraient gagné à être développées avec plus de précision. Différents textes, entretiens, manifestes et projets sont alors collectés et présentent une mosaïque de points de vue, plus ou moins intéressants, sur le kit. Louchant du côté de l’art contemporain notamment avec l’entretien de Benjamin Sabatier, artiste qui place le kit au centre de son processus créatif, l’ouvrage peut facilement dérouter mais aussi séduire, paradoxalement. Laissant même le lecteur sur sa faim.

Casa Manifesto © Antonio Corcuera, Architecture Photographers

Qui trop embrasse mal étreint…

Finalement, le livre ne permet pas d’étendre son savoir sur la maison en kit, tant la délimitation entre maison préfabriquée et maison en kit reste ici floue. Sur cette question particulière, ce n’était pas un ouvrage d’architecture qu’il aurait fallu proposer mais un livre traitant de ce mode singulier de commercialisation, de distribution et de construction qu’est le kit.

Le mode d’emploi, le système économique sous-jacent, les moyens nécessaires à la construction n’étaient évidemment pas à négliger.

Le graphisme, la sociologie et l’économie auraient alors pu être des angles d’analyse complémentaires de l’histoire et de l’architecture. L’intérêt aurait été moins dans le projet fini que dans les liens dynamiques entre contexte de production, modalités de distribution et acteurs en jeu.

Alors, même si l’ouvrage reste généreux dans son propos et agréable dans sa maquette, il passe clairement à côté de son sujet.

VERGNOT-KRIEGEL, Claude, MERLINO Carine et DELPRAT, Étienne, Maisons en kit, Éditions Alternatives, Collection Anarchitecture, 2011.

[1selon l’ouvrage : "ensemble de boîtes livrées par camion, commandées sur catalogue, contenant différents éléments à assembler en suivant un mode d’emploi en vue d’aboutir à l’objet maison"

[2architecte, éditrice, auteure et journaliste pour la presse spécialisée

[3on sait que Walt Disney se passionnait d’architecture et d’urbanisme

[4architecte associé (agence LVK architectes)

[5architecte et enseignant à l’École nationale d’architecture de Paris Belleville

Texte : creative commons - Illustrations : © 1. Fincube © Studio Aisslinger - 2. Drop House © D 3 architectes - 3. MDU © Lot-Ek - 4. Casa Manifesto © Antonio Corcuera, Architecture Photographers

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