Mel King
From Tent City to our Technology

Article écrit et propos recueillis par Camille Bosqué.

Suite de nos explorations des FabLabs pionniers dans le monde avec un dernier stop au South End Technology Center, un FabLab qui a été implanté à Boston en 2003, peu de temps avant celui de Norvège dont nous vous parlions il y a un an. L’objectif de notre visite, plus de 10 ans après, est de rencontrer Mel King, un vieil homme qui a monté ce FabLab avant même que le nom existe et qui a marqué son époque à Boston. Back in the 70s !

« Growing inventors » est le titre du chapitre de FAB dans lequel Neil Gershenfeld présente ces piliers de communauté sur lesquels les premiers FabLabs se sont appuyés. Des personnalités qui ont marqué par leur engagement pour des causes locales, qui se sont mises au service de populations isolées ou marginalisées.
Mel King est l’une d’elles.

From Tent City...

C’est un homme déjà âgé quand son destin croise celui des FabLabs. Il est connu pour avoir, en 1968, conduit le mouvement Tent City dans un quartier pauvre de Boston pour protester contre des plans d’urbanisme qui prévoyaient d’installer un gigantesque parking plutôt que de nouvelles habitations. Convaincu que les citoyens pouvaient influer sur cette décision en manifestant, il avait grandement contribué à la mobilisation des habitants du quartier pour occuper le terrain, en dressant de nombreuses tentes sur la zone convoitée.

Extraits de "Tent City", reportage tourné à Boston en 1968. Boston TV News Digital Library.

Suite à cet épisode qui a mené à la construction de logements sociaux - d’ailleurs appelés Tent City en hommage à la manifestation qui leur fit voir le jour -, Mel King a été l’initiateur du South End Technology Center. Il s’agit d’un community center ouvert nuit et jour qui propose depuis une trentaine d’années des formations aux technologies numériques.

... to our Technology

À l’occasion de sa retraite vers la fin des années 70, cet ancien professeur du MIT qui a quatre-vingt dix ans aujourd’hui a investi tout son temps pour aménager et encadrer ce lieu, au départ essentiellement équipé d’ordinateurs. Il est toujours vêtu d’une salopette et porte autour du cou un cordon auquel est accroché sa clé USB.

Quand on l’interroge sur les FabLabs et l’engouement international pour ce mouvement, il prend la question à revers :

« La technologie n’est pas une solution pour tout. Je crois en la technologie du cœur. Ce qui compte le plus c’est ce que les gens peuvent avoir à se donner, à partager, à apprendre les uns des autres. »

Quand Mel King a pris sa retraite, il a fait un choix radical qui a permis le développement du community center. Au lieu d’accepter d’avoir un bureau réservé au MIT pour poursuivre ses recherches, ce qui est un privilège accordé aux chercheurs seniors, Mel King a demandé s’il pouvait avoir son bureau à Tent City et s’il était possible de le partager avec la communauté du quartier. C’est ainsi qu’est né cet espace, peu à peu équipé de machines numériques et finalement baptisé FabLab après des années d’existence et de lutte pour un accès aux savoirs et aux technologies.

Cette nouvelle appellation tardive est probablement la raison pour laquelle Mel King répond de manière très vague et allusive à nos questions sur le réseau et sur l’histoire des FabLabs, préférant se concentrer sur les valeurs « plus fondamentales » qui l’ont poussé à maintenir cet endroit ouvert gratuitement à tous. Conséquence assez marquante : au lieu de la charte des FabLabs, c’est la charte des Droits de l’Homme qui est affichée dans l’entrée.

« Quand j’ai vu l’arrivée d’Internet, je me suis dit qu’il fallait absolument que n’importe qui puisse s’en servir. »

C’est comme si l’arrivée de machines de fabrication numérique depuis une décennie n’avait finalement pas changé grand-chose à l’ADN du lieu. Le programme « learn to teach, teach to learn » est mené depuis plusieurs années, et rassemble des jeunes du quartier autour de projets qui touchent tant à la gestion de tableaux Excel qu’à la pratique de la poésie, de l’utilisation de l’imprimante 3D à la machine à broder numérique, souvent utilisée par les adolescents du coin pour personnaliser leurs sweats à capuche. « Quand j’ai pris ma retraite, en 1996, c’était l’époque où les jeunes commençaient à traîner dans les Internet cafés. Mais il fallait payer. J’ai monté ici le premier lieu d’accès libre aux ordinateurs, » explique Mel King.

Alors que nous discutons, un groupe de jeunes se présente. Il viennent pour la première fois. L’un d’eux porte un t-shirt avec un grand portrait de Madonna et un autre affiche logo et slogan d’une marque de sport. Il les attrape dans l’entrée.

« Comment tu t’appelles ? Pourquoi tu as Madonna sur ton t-shirt ? Et toi, tu ne peux pas inventer toi-même ton propre message, au lieu de reprendre ceux qu’on voit partout dans la rue ? »

Les jeunes répondent, peinent à argumenter face au vieux géant qui les toise avec malice, puis sont très vite remis entre les mains de Wendy, une jeune fille qui est à peine plus vieille qu’eux et qui à force de venir au FabLab tous les jours y a gagné quelques responsabilités. Elle leur fait une visite.

Mel King reprend : « Au début, on faisait un truc qui s’appelait “midnight computer”, on ouvrait très tard, on était avec une fille qui faisait un PhD au MediaLab et qui travaillait avec Simon Papert, on montrait aux gens comment construire eux-mêmes leurs ordinateurs. Puis j’ai rencontré Neil Gershenfeld qui était déjà professeur au Center for Bits and Atoms du MIT et on a réalisé qu’on faisait des choses assez semblables, lui avec son projet de FabLabs et moi avec les gens du coin, ici. On avait le même objectif : démocratiser l’accès à la technologie. Nous n’avions pas tout l’équipement de fabrication numérique qui intéressait Neil, mais il y avait quelque chose dans son programme qui était compatible avec ce qu’on faisait nous-mêmes à l’arrache depuis des années. »

Dans un coin de la pièce, les jeunes se sont finalement installés autour de la découpeuse laser et Wendy leur montre un assemblage de pièces de tissu et de feutrine découpées à partir de fichiers qu’elle a dessinés elle-même. Elle est en train de composer un petit tableau où elle a cousu ensemble un portrait de Nelson Mandela et de Mel King. Les visages des deux hommes encadrent une inscription :

« Let Freedom Reign ».

« En fait, rien n’est nouveau dans cette histoire de FabLabs. Accompagner les enfants pour fabriquer des choses, par exemple, c’est ce qu’on fait depuis des millénaires, sauf que maintenant on utilise une imprimante 3D au lieu de bouts de bois... »

Ce rappel à l’essentiel qui pourrait paraître naïf n’est certainement pas inutile, au lendemain de la tonitruante conférence internationale FAB10 qui marque un engouement exponentiel pour le mouvement et qui a réuni près de mille personnes à Barcelone pour marquer le passage « du FabLab à la FabCity ».

Texte : creative commons Images : Camille Bosqué (sauf vidéo).

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