Nathalie Bles : Réactiver une maison bulle six coques
Autour du projet YKFD [1/2]

Propos recueillis par Caroline Bougourd le 28 février 2012 à Bagnolet, images Nathalie Bles.

En 2003, près de Marseille, Nathalie Bles et Serge Stephan font une curieuse rencontre : deux maisons bulles six coques abandonnées sur un parking. Conçu par l’architecte et urbaniste Jean Benjamin Maneval dans les années 1960, cet habitat mobile en résine, préfabriqué et produit en série, surprend. Et les deux artistes sont littéralement happés par ces petites constructions qui avaient déjà servi de maisons de vacances, puis de bureaux de vente pour un promoteur immobilier. Très rapidement mais non sans difficultés, ils acquièrent les deux bulles, les démontent et les stockent afin de les « réactiver ».

Retour avec Nathalie Bles sur un projet artistique utopique.


Sausset-les-Pins, 2003, photographie Nathalie Bles

White cube itinérant

Comment définiriez-vous la bulle ?

Nathalie Bles : Pour moi, la caractéristique de la bulle est qu’elle est vraiment à la frontière entre l’architecture et l’objet : de par sa maniabilité, qui est relative mais réelle, de par son système de montage et de par sa courbe. Lorsqu’on la voit, on s’imagine la tenir dans une main, c’est vraiment une fleur…

Quel était votre projet en tant qu’artistes avec ces bulles ?

L’idée était de disposer d’une espèce de white cube itinérant. De solliciter des interventions ou des propositions d’artistes à l’intérieur, en essayant de fonctionner a minima financièrement, avec des aides ponctuelles, mais sans chercher à rentabiliser. Et surtout, en évitant systématiquement l’aspect patrimonial et la visite religieuse de la chose.

À l’époque j’étais très virulente sur la montée publicitaire du design. Ma position était radicale aussi par rapport à la production « mécaniste » en sculpture, une production proche du design, ce n’est pas du tout ce que je défends.

Que la bulle soit esquintée, pourquoi pas, puisque le design, c’est comme le reste, ça a un âge et ça vieillit.


Sausset-les-Pins, démontage, photographie JB Sauvage

Peu de temps après, vous découvrez qu’un galeriste parisien cherche à acquérir l’ensemble du stock des maisons bulles et pourrait être intéressé par les vôtres. Comment avez-vous réagi ?

Nous avions des directions de travail précises, nous étions tous les deux passionnés par le contre-design italien, Sottsass, Pesce, Branzi, et tout ce que cette pensée pouvait supposer d’engagement : nous avons refusé toute transaction.

Le Point Éphémère : l’aveuglement

En décembre 2004, vous installez une bulle au Point Éphémère. Comment l’avez-vous utilisée ?

Le Point Éphémère était en cours d’aménagement et nous avons fait l’ouverture. La circulation spéculaire était très étonnante entre les baies vitrées, les fenêtres en plexiglas et le canal Saint-Martin. On était à la fois tout le temps dehors et tout le temps dedans, avec quelque chose qui bousculait le rapport à l’objet « domestique » et au paysage environnant.

Qu’est-ce que le 24 Hours Live Performance ?

Une épreuve d’endurance ! J’avais invité 3 amis musiciens (Hypo et dDamage) à jouer sans interruption dans la bulle pendant 24 heures. C’était une manière assez viscérale de l’habiter, une prise sauvage du territoire. L’éclairage intérieur était très blanc et la salle du Point Éphémère quasiment dans l’obscurité, la bulle semblait posée comme un OVNI. L’absence de visibilité, de contact direct et physique avec le public était très curieuse pour les musiciens. L’un d’eux m’a dit avoir vraiment eu l’impression de jouer enfermé dans une télé !

Quel a été l’accueil du public concernant l’exposition ?

Il y a eu deux types de réactions. La première était celle des gens qui entraient dans la bulle comme on entre dans une expo et disaient : « Bah alors, c’est tout ? » Nous leur répondions : « Mais vous êtes à l’intérieur de ce que nous présentons… » C’était la réaction de base des couples à poussette. Apparemment ils n’étaient pas sensibles à l’objet en tant que tel et pour établir le contact nous basculions sur un discours (rapide) concernant l’historicité de la chose.

À l’opposé, une anecdote qui m’avait frappée : une de nos amies galeristes est venue et la première chose qu’elle ait vue était le cadenas que nous avions mis sur la porte qui ne fermait plus. Nous avions donc percé un petit trou sur le côté pour pouvoir le passer. « Vous avez percé la coque ! » C’était intéressant, la bulle est une maison, et donc une maison, on en ferme généralement la porte en sortant. C’était un geste minime et basique de propriétaire… Mais elle réagissait face à l’objet « design » auquel on ne peut apporter absolument aucune modification.

Bref, les choses se compliquaient dans nos esprits…


Paris, Point Point Éphémère, 2005

Donc vous n’avez pas du tout rénové vos deux bulles ?

Non. Au début nous souhaitions restaurer, ne serait-ce que pour faciliter transports et manipulations, mais nous n’en avons jamais eu les moyens. En tant qu’artistes, nous étions dans une position très bizarre avec ces bulles. Dans quelle mesure pouvait-on se permettre une manipulation qui excédait celle prévue ? Nous rêvions d’un plancher transparent par exemple, ou d’un thermoformage excentrique des fenêtres panoramiques… Bref, d’interventions et de modifications de fond. Mais quand nous parlions de ce qu’on essayait de mettre en place, les gens nous répondaient systématiquement par la protection patrimoniale ! C’était une impasse.

Le terme « réactivation » disait pourtant exactement cela : « Ok, voilà un petit historique en trois minutes de cet objet, mais notre propos n’est pas là. »

Berlin : le refus commercial

Et après le Point Éphémère, où sont parties les bulles ?

Nous devions partir pour Berlin où nous étions en contact avec un collectif d’architectes et de sociologues.

Une des grandes vogues là-bas est celle des bars éphémères : chaque été, des gens en montent dans des lieux différents. Et tout Berlinois se doit de faire la visite de tous les nouveaux bars. Ce sont des espaces très transitionnels, cross-over dans l’architecture, d’investissement décoratif très ponctuel et souvent assez pointu. Pour nous c’était relié donc à tout un schème culturel urbain, ce n’était pas uniquement vendre des whiskies-sodas.

Nous devions monter les bulles derrière l’école d’architecture de Berlin, sur le toit en béton d’un ancien bunker à bateaux sur la Spree. La base du deal était que nous partagions l’usage des bulles avec ce collectif. Elles restaient un an, ils en avaient l’usage pendant l’été pour la partie bar plutôt festive et nous l’automne pour les invitations d’artistes. Nous avions notamment un projet important avec « La Galerie de Multiples ».

Une semaine avant le transport, ils sont venus au Point Éphémère et nous ont appris qu’ils avaient fait une proposition à Google Maps qui avait été immédiatement acceptée : mettre un gigantesque autocollant sur le toit de la bulle, pour être visible du satellite. Il y avait pas mal d’argent en jeu de leur côté. Nous avons tout annulé d’un coup.

(La suite dans quelques jours...)

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Pour aller plus loin :

Le site de Nathalie Bles

Le site de Serge Stephan

Dossier pédagogique réalisé par le Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne à propos de la maison bulle

texte : creative commons, images Nathalie Bles

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