Pour que les villes marchent

Critique écrite par Irène Laplanche en partenariat avec Nonfiction.fr

« Lève toi et marche ». Il est grand temps de laisser voitures, mobylettes et autres motocyclettes s’empoussiérer au garage. La ville de demain, cette ville durable, ce paradis rêvé, sera moins consommatrice, plus accessible, plus accueillante. On y marchera. Entre colloques, expositions, blogs et publications, la mobilité a quelques belles années devant elle...

L’ouvrage Le piéton dans la ville, l’espace public partagé présente les réflexions menées dans le cadre du programme Popsu Europe sur le thème « la marche et le piéton dans les politiques de partage de l’espace public », faisant ainsi état des travaux engagés par architectes, urbanistes, ingénieurs, etc. afin que cohabitent tous modes de circulation et que le piéton retrouve une place de choix dans la cité.

Sans omettre l’indispensable préambule théorique, l’architecte Jean Jacques Terrin, directeur de l’ouvrage, a pris le parti de laisser la part belle à l’explication par le concret.

L’ouvrage s’en trouve du même coup divisé en deux : d’un côté les « projets », série d’articles présentant les différentes stratégies adoptées par des villes européennes pour réaménager leurs espaces publics ; de l’autre les « regards », corpus de textes plus ou moins engagés dans le débat de la mobilité urbaine.

La marche au banc d’essai

Un premier tour d’horizon nous mène à Amsterdam, Copenhague, Lausanne, Londres, Lyon, Paris, et Vienne, enfin. Il nous conte la ville en train de se faire : politiques à l’œuvre ou au bancs d’essai, projets d’avenir, nouveaux outils de planification urbaine entre consultations, sites internet et évaluations, …

Chaque ville a sa propre stratégie pour faire face à la nécessaire reconversion de l’espace public au profit de mobilités douces et peu polluantes : les pays du Nord favorisent les déplacements à vélo ; le quartier amstellodamois dit du Red Carpet lui dédie ses circulations principales et Copenhague se fixe pour objectif d’atteindre les 50% de trajets effectués à vélo. Londres travaille à la conciliation des usages en révisant l’approche traditionnelle de ségrégation de l’espace public (flux circulatoires bien ordonnés et sécurisés : signalétique, marquage des chaussées, voies dédiées et barrières de sécurité pour les piétons). Paris s’imagine sur ses berges…

Ce « work in progress », présenté par les personnes qui y travaillent, n’admet malheureusement pas suffisamment d’autocritique, d’analyse ou de bilan. Il n’échappe pas à un malencontreux effet de catalogue bien pensant : état des lieux pur, il se contente d’expliquer les processus de mise en place de ces nouvelles politiques urbaines. Le lecteur a dans les mains un produit brut, déroutant par son contenu, qui reste trop informatif, et sa forme.

Expliquer leur propre travail a en effet rendu les auteurs un peu trop complaisants ; telles les conclusions tirées par P. Bulliard, D. Litzistorf et MFA. Ribeiro au sujet du Trait d’union lausannois, projet qui aurait permis, estiment-ils, aux citadins de se familiariser au nouveau métro M2 « de manière ludique et étonnante car donnant aux usagers l’impression de comprimer le temps et l’échelle de la ville. ». Est-ce un besoin de convaincre du bien-fondé des politiques urbaines mises en place qui transparaît ainsi, au travers d’un discours partial ? Ces affirmations un peu vaines, un peu naïves traduisent un manque de recul compréhensible, que l’on ne peut pourtant s’empêcher de déplorer.

Il est d’ailleurs étonnant au regard de l’acuité des réflexions présentées dans la seconde partie de l’ouvrage.

Regards pro-piétons

La réflexion sur la mobilité urbaine, dans une société toujours plus connectée, toujours plus informée, est primordiale si l’on veut retrouver une forme de vivre ensemble dans la grande ville. Il nous faut réapprendre à considérer « le passant et le flâneur [comme] les acteurs clés d’une culture ouverte à l’altérité », il faut « s’appuyer sur eux pour repenser les espaces publics et les conditions de mobilité à l’échelle des métropoles d’aujourd’hui ». Ces réflexions, les auteurs en font état sans préciosité, avec beaucoup de justesse et de précautions.

Le thème du piéton dans la ville est abordé sous quatre angles qui, de la notion de confort à celle du « piéton créateur », permettent au lecteur d’aguerrir ses connaissances de la pensée urbaine contemporaine. Les quatre pistes revendiquent l’importance du piéton dans la fabrique de la ville, le présentant comme un moteur d’urbanité, jusqu’alors grand oublié des politiques urbaines qui ont trop privilégié l’automobile et les transports en commun dans leurs cahiers des charges. Il s’agit de faire de l’espace public un lieu accessible « structuré par les flux et les courants qui le parcourent, qu’il s’agisse de gens, de marchandises, de moyens de déplacements, d’informations, de risques ». Est-ce l’ébauche d’un manifeste pour une ville « marchable » où tout serait accessible à pied, protéiforme, et mixte dans ses usages ?

Sans être avant-gardiste ni visionnaire, cette seconde partie d’ouvrage, parce qu’elle présente un état des lieux conceptuel et engagé dans le débat sur la mobilité, qu’elle en retranscrit les grandes intentions, apporte sa part au renouveau de la pensée urbaine contemporaine. Ces réflexions sur la ville et ses réseaux divers d’espaces et de flux, expliquées avec clarté, paraissent à la fois plus accessibles, mais aussi plus réalistes. Pour un peu nous ferions nôtres les thèses qu’elles défendent, avec leur part de rêve et d’infaisabilité.

On saluera donc ce livre pour sa documentation riche, sa profusion d’exemples, son analyse juste et fine. On restera avide des conclusions tirées de ces opérations d’aménagement, dont la présentation nous laisse malgré tout, un peu sur notre faim.


Jean-Jacques Terrin, Le piéton dans la ville : L’espace public partagé, Éditions Parenthèses, Collection : La ville en train de se faire, sept. 2011, 279 pages, ISBN : 2863642286.

texte : creative commons - images : Test des passages piétons 2011, Touring Club Suisse.

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