Spacewalk
Court traité de randonnée galactique

Article écrit par Tony Côme

« La meilleure façon de marcher, c’est encore la nôtre, c’est de mettre un pied devant l’autre et de recommencer. »
Sagesse scoute qui a ses limites : la pesanteur.

Dessiner une chaussure de marche galactique n’est pas aisé. Bien que beaucoup s’y soient déjà essayés (designers, ingénieurs, inventeurs fous, pop stars…), les astronautes sont toujours les plus mal chaussés.

Pour caler leurs pieds, ceux-ci utilisent des dispositifs plutôt basiques, composés d’un carré de 30 x 30 cm de scotch monoface à haut pouvoir fixant et d’une bande de tissu de 5 cm x 15 cm accrochée sur le côté non adhésif du carré. Ils glissent leurs pieds entre la bande de tissu et le côté non adhésif pour se stabiliser. Ces carrés sont disposés à des endroits stratégiques dans la navette, ils sont moyennement pratiques et comme ils sont "mous", la position est très fatigante.

Expérience relatée par l’astronaute français J.F. Clervoy] (ESA) le 2 nov. 2007 auprès de L. THIBERGE, G. TOULLEC, J. NUSSBAUMER, T. MATHIEU, J. FOURÉ. Cf. Spacewalk, Projet Scientifique Collectif, Rapport Final, École Polytechnique, 2008.

À l’intérieur d’une station, les astronautes portent des chaussettes de tennis. Ils regrettent de ne pas avoir entre l’orteil et les autres doigts de pied un séparateur, comme cela se fait dans certaines chaussettes, qui pourrait être plus pratique. En extérieur, il existe des modules de fixation des pieds compatibles avec le scaphandre, un peu plus rigides (arceaux en métal). Ils sont eux aussi assez peu pratiques.

Il y a plus de quarante ans, alors qu’il collaborait avec la NASA sur le projet du Skylab, le designer Raymond Loewy faisait déjà ce constat et projetait de :

« munir les sandales des astronautes de pinces qui les maintiendraient accrochés aux grillages du sol et du plafond ».

Raymond Loewy, un pionnier du design américain, éditions du Centre Pompidou, 1990.

Le projet est resté lettre morte et le problème, irrésolu.

Extension du domaine du bipède

Sensibles à ce problème, une équipe d’étudiants polytechniciens (Jean Foure, Thomas Mathieu, Jonathan Nussbaumer, Laure Thiberge et Guillaume Toullec) décident en 2008 de voler au secours des astronautes et d’enfin trouver chaussures à leurs pieds. Il s’agit plus précisément pour eux de :

Laure THIBERGE, Guillaume TOULLEC, Jonathan NUSSBAUMER, Thomas MATHIEU, Jean FOURÉ, Spacewalk, Projet Scientifique Collectif, Rapport Final, École Polytechnique, 2008.

« concevoir un système d’aide à la marche en apesanteur, afin de faciliter les opérations à bord d’une station orbitale et, peut-être, à plus long terme, de permettre la reproduction de la locomotion bipède telle qu’on la connaît sur Terre, dans des conditions de gravité inférieures
à 1G ».

Le projet « Spacewalk » a permis le développement de prototypes de semelles actives « répondant à une détection analogique de l’envie de marcher ». Un système de capteurs de pression est intégré à une chaussure standard puis couplé à une semelle intelligente garantissant la fonction d’adhérence au sol par le biais d’électro-aimants.

Trois principaux types de mouvements sont ainsi visés :

  • Le mouvement fixe : pour réparer des instruments ou réaliser des expériences, le spationaute a besoin de se fixer au sol. Ses jambes doivent pouvoir rester immobiles sans effort.
  • La marche naturelle : pour se déplacer d’un endroit à un autre de la station spatiale, le spationaute peut avoir besoin d’un dispositif qui s’inspire de la marche naturelle.
  • Le mouvement libre : flotter en apesanteur est un plaisir immense dont on ne saurait priver les spationautes. Le dispositif doit donc aussi autoriser le flottement libre sans entrave.













ForceShoes et OrthoBoots

Ces jeunes ingénieurs ont eu l’opportunité de tester leurs prototypes à bord de l’A300 ZeroG à bord duquel a été validé le concept de cette chaussure intelligente. L’équipe s’est posé la question de poursuivre l’aventure, mais le coût et la durée des développements potentiels étaient incompatibles avec les choix d’orientation immédiats de ces polytechniciens.

Depuis cette expérience, les études concernant la marche dans l’espace se sont multipliées. Le projet de recherche du jeune designer Octave de Gaulle ouvre par exemple de nouvelles perspectives en s’emparant notamment des textiles techniques utilisés dans l’industrie automobile. L’Institut de Médecine et de Physiologie Spatiales (MEDES) de Toulouse développe actuellement une paire d’OrthoBoots afin de pallier certains « troubles de la motricité […] induits par un voyage dans l’espace ». Et le 29 mai dernier, dans une perspective similaire, la NASA mettait au grand jour leurs très technologiques ForceShoes : de confortables instruments de mesure à scratch destinés à mieux comprendre les efforts fournis par le pied hors gravité et in fine « maintenir en bonne santé les os et muscles de l’astronaute ».

La révolution de la chaussure spatiale est en marche.

Texte : creative commons - Images Spacewalk : J. Nussbaumer

tweet partager sur Facebook