Madame rêve d’aéroport

Écrit et illustré par David Liaudet en partenariat avec Archipostcard.

Dans le cadre de notre partenariat avec le blog Archipostcard,
David Liaudet nous envoie une nouvelle salve de cartes postales.
Ou comment faire rimer "retraité" avec "modernité" ...

Les vieilles de notre pays ne sont pas des vieilles moroses, dit la chanson.

L’architecture des maisons de retraite le dit aussi à sa manière. Il existe dans ce programme quelque chose qui rapproche les maisons de retraite des centres de vacances ou des VVF. La jeunesse joyeuse et insouciante aurait besoin des mêmes locaux que la vieillesse : des lits, des espaces conviviaux, un certain rapport entre le dedans et le dehors, des locaux où la collectivité est possible et nécessaire, comme les réfectoires, les cuisines…

Les images des cartes postales sont à ce titre trompeuses qui font passer un lieu de fin de vie pour un Club Med. Souvent, seul l’âge des personnes saisies dans leur pose nous donne la réalité du lieu. Des vieux ou des jeunes sur les images.

Mais est-ce l’image qui nous leurre ou bien l’architecture ?

Sur la carte postale de la maison de retraite de Noisiel, une femme âgée marche sur la route. Elle est seule dans cet espace. On devine autour d’elle l’architecture en ruban des chambres collées les unes aux autres, chambres dont la modernité tient à peu de chose : une certaine manière de creuser la façade en alvéole. Au dos de cette carte postale l’architecte est nommé, il s’agit de Jean Marcot.

Certainement que depuis cette image, l’architecte ici étale comme une rue de village les logements des retraités afin de leur donner à chacun le sentiment d’un chez-soi, le jardinet en accueil renforçant ce sentiment.

La solitude de la femme sur cette route est accentuée involontairement sans doute par le sens interdit, seul point de couleur vive dans cette photographie.

Au Clair Logis à Alès, les résidents de la maison de retraite ont droit à un espace extérieur posé en bas de l’immeuble courbé.

Mais il n’y a personne pour profiter des sièges de rotin et des jolis parasols qui donnent indéniablement à l’ensemble un côté bord de mer ou hôtel de luxe. Car, à bien y regarder, avec ses balcons filants pour chaque chambre, cet immeuble est assez beau. On croit deviner une attention simple et particulière à une architecture, sinon d’avant-garde, au moins bien dessinée. Si la carte postale ne nommait pas la fonction du lieu ni la particularité de son programme, le destinataire pourrait bien croire que le correspondant est en vacances à Benidorm.

Les architectes Jean Schneider et Pierre Myassard devaient quant à eux avoir d’autres références lorsqu’ils ont dessiné la maison de retraite intercommunale de Saint-Maur-des-Fossés.

La carte postale Combier nous montre une façade et un traitement d’entrée qui pourraient être ceux d’un lycée ou d’une antenne de la Sécurité sociale, voire du siège social d’une entreprise. Le béton se croise de manière orthogonale, creusant sur l’épaisseur des piliers une grille parfaite que seul le store rouge baissé vient rompre.

Le photographe se place à hauteur du piéton et du visiteur qui devra sans doute, dans cette grille, trouver, grâce à l’orientation donnée à l’accueil, l’étage et le numéro de la chambre de la grand-mère ou de la vieille tante. Une hauteur, une largeur, une profondeur pour un lieu de vie dont l’échelle est offerte à la vue par l’image même de cette grille.

Parfois les cartes postales ne rendent pas hommage aux grands architectes.

La maison de retraite de Saint-Calais représentée ici encore par les éditions Combier ne nous donne pas à voir toute son intelligence. Elle est l’œuvre de l’architecte Guy Bisson qui a pourtant reçu le Prix de l’architecture à la Biennale de Paris pour l’une de ses maisons à Villelongue-des-Monts.

Depuis cette carte postale, la modernité vient sans doute exclusivement des couleurs primaires sur les ouvertures et de leur alternance faisant écho à Mondrian.

À peine devine-t-on le reste du bâtiment caché par la chapelle qui est bien l’objet architectural visé sur ce cliché. On ne peut ici malheureusement pas vraiment analyser les richesses de cette construction mais simplement s’étonner que celle-ci soit ainsi rejetée au profit du pittoresque – à moins que sa qualité première soit justement sa modestie, son retrait dont seule la couleur viendrait un peu réanimer son originalité.

Il faut savoir rendre visite aux dames âgées.

Dans sa chambre bien éclairée, moderne et propre, une dame lit Nice-Matin. On sait que c’est au photographe qu’elle sourit en jouant là le rôle de la pensionnaire heureuse dans sa chambre. Les chaussons sont restés dans la table de nuit. L’espace est rempli d’un lit immense et jaune qui semble être le roi du mobilier de cette chambre.

Tout le reste du mobilier tourne autour de ce lit comme si la position couchée était le principe même du lieu.

La dame ne s’est pas assise dans son fauteuil (lui aussi tourné vers le lit et non vers la fenêtre). Le fauteuil n’est pas pour elle mais pour les visiteurs. Nous sommes à la maison de retraite de Cugand.

Sans doute que Madame rêve d’aéroport.


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D’AUTRES CARTES POSTALES REÇUES PAR LA RÉDACTION :

La Chambre d’amour d’Anglet
Candilis face à la mer
Dalida à Royan

LE SITE DE DAVID LIAUDET :

Archipostcard devient Archipostalecarte.

texte : creative commons - image : © David Liaudet

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