Royan : modernes cartes postales

Écrit par Caroline Bougourd.

La couverture colorisée, non sans évoquer le manège des voitures dans Playtime de Jacques Tati, donne le ton de l’ouvrage de David Liaudet : un savant mélange de culture populaire et d’érudition, comme le titre Royan, l’image absolue. Cartes postales de la ville moderne peut le laisser présager.

Le lecteur feuillette tout d’abord l’ouvrage comme on ferait défiler un tourniquet de cartes postales chez le buraliste de la plage : l’œil navigue au gré des panoramas reflétant l’identité d’une cité balnéaire moderne. Et il pourrait rester à ce niveau de lecture, ému par les bords tantôt dentelés tantôt écornés des cartes, intrigué par les micro différences tapies au sein des séries ou encore touché par le kitsch assumé de certaines images. Et cela constituerait déjà une balade visuelle aussi agréable qu’intéressante. Mais cela serait passer à côté de l’autre versant de l’ouvrage : le travail d’analyse et de références réalisé par David Liaudet. En effet, le cartophile et amateur d’architecture établit ici un corpus visuel sur la reconstruction d’une ville et la façon dont s’est forgée sa modernité par le biais de cet objet éditorial populaire qu’est la carte postale.

« Et comme me l’avait confirmé une commerçante ayant tenu un bar-tabac à Royan, on venait alors voir la ville moderne tout autant que la mer. On venait voir ce que c’était que cette modernité. »

Le texte est à la fois cultivé et assez personnel, étant donné que David Liaudet étudie son corpus iconographique au prisme de son activité de collectionneur. Il mêle les sensations liées à sa quête avec les questionnements qui lui permettent de construire son analyse. Ainsi, le cartophile présente les images impressionnantes des destructions de la ville suite aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale puis donne à voir les cartes des différentes maquettes de reconstruction de la ville avant de s’étonner de l’absence d’images du chantier.

« Je rêve encore aujourd’hui de cette carte postale manquante me montrant volontairement les travaux de l’église ou [ceux] du marché… »

L’auteur interroge ensuite son corpus iconographique en le comparant aux photographies de la reconstruction prises, dans le même temps, par le MRU (ministère de la reconstruction et de l’urbanisme) qui présente tout le processus de reconstruction de la ville : chantiers, pavillons provisoires, hommes au travail, détails constructifs… Profondément politique et professionnellement cadrée, la photographie du MRU se distingue de la carte postale par son ambition documentaire et sa triple vocation d’informer, éduquer et diffuser.

« Cela relativise beaucoup le statut de la carte postale en tant que document historique ; elle apparaît comme l’image pure d’un monde parfait, comme si la ville se devait d’être toujours accomplie, achevée. »

Les références convoquées par l’auteur, telles que Martin Parr et ses boring postcards ou la photographie objective des Becher permettent alors de mettre en perspective la carte postale dans une histoire de l’image photographique, voire cinématographique. D’ailleurs, l’idée de la carte postale comme « image absolue » (titre de l’ouvrage), est empruntée au critique de cinéma Serge Daney et traduit la puissance populaire de la carte postale, terrain de jeu que ne devraient pas dédaigner les intellectuels.

Au fil des pages, l’ouvrage devient une déclaration d’amour architectural : David Liaudet considère Royan comme la plus belle ville du monde et réalise de fait ici un joli hommage visuel à la cité balnéaire. Et si le lecteur n’est pas entièrement convaincu de l’absolue beauté de la ville une fois le petit ouvrage refermé, il apparaît évident qu’il ne regardera plus tout à fait les cartes postales de la même façon, l’auteur démontrant avec conviction l’intérêt de cet objet éditorial singulier.

Finalement, ce livre de saison, s’il fait l’impasse sur différents points (tels que la colorisation des images, l’identité des photographes et des éditeurs de cartes ou sur la technique photographique en elle-même), se donne pour vocation de se concentrer sur le plaisir pur et simple de l’image, constitutif de cette typologie iconographique spécifique qu’est la carte postale.





David Liaudet, Royan, l’image absolue. Cartes postales de la ville moderne, Éditions Le Festin, mars 2014.

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