TechShop
"Build your dreams here !"

Écrit et illustré par Camille Bosqué

TechShop ressemble à un club de gym où les vélos, tapis et haltères sont remplacés par des imprimantes 3D, découpeuses laser et perceuses à colonne. Modèle à l’américaine fondé sur un service payant, TechShop est une chaîne qui existe depuis 2006 et qui compte aujourd’hui près d’une dizaine d’ateliers partagés, principalement sur la côte ouest des États-Unis. L’atelier de San Francisco est l’un des plus anciens. Rencontre avec Blaine Dehmlow, manager de cet espace "pensé autour des machines, pour aider n’importe qui à réaliser son rêve".

« TechShop est une étape pour les entrepreneurs. »

TechShop compte vingt-trois employés, vingt-quatre instructeurs et plus de mille membres. À San Francisco, il existe depuis presque trois ans. Blaine Dehmlow est le manager de cet espace quasiment depuis le début. Il nous reçoit dans une petite remise au rez-de-chaussée, envahie par de vieux vélos démontés et de nombreux outils en vrac. Dans le reste de cet espace gigantesque, tout est bien rangé, les gens présentent un badge à l’accueil pour accéder aux outils et les formations techniques permettent à tous d’atteindre des degrés d’autonomie progressifs dans les ateliers. Ironie du sort, TechShop se situe à quelques blocs de Noisebridge, le hackerspace mythique de San Francisco dont l’accès est gratuit 24h/24 et où règne un ordre relatif, anarchiste et organique.

Avant d’atterrir à TechShop, Blaine était conseiller politique. Il a grandi dans les montagnes rocheuses, « au milieu de nulle part, avec un père chercheur d’or » qui l’embauchait pour l’aider. Avant le début de cet entretien, il raconte la manière dont son père lui a toujours appris à prendre soin de son équipement. Il en concevait même certaines parties et construisait aussi ses propres jouets. « Toute ma vie, je l’ai passée à fabriquer et réparer des choses. Dans ce sens, TechShop est vraiment le boulot parfait. »

Strabic : Qui sont les personnes qui viennent travailler ici ?

Blaine Dehmlow : Certains viennent construire un projet pour eux, par passion ou par curiosité pour les machines. D’autres pour des projets liés à un business déjà existant, pour utiliser des machines particulières. C’est une annexe pour eux. Enfin il y a des gens qui ont des produits à prototyper, c’est aussi le bon endroit pour ça.

Quelles sont les différentes formules d’abonnement ?

Il y a le membership classique, on peut payer pour un jour, trois mois ou un an. On a aussi un système d’abonnement à vie ! Certaines personnes ne viennent que pour les cours, mais deviennent ensuite membres parce qu’ils ont envie d’appliquer ce qu’ils ont appris. L’une des particularités de TechShop, c’est la possibilité de commencer par être un membre pour ensuite donner des cours ou animer des workshops. Moi par exemple j’ai proposé des ateliers pour faire une montre et une guitare. Ces workshops sont précieux pour les gens qui ont envie de faire, sans avoir d’idée précise.

Quand on visite TechShop en arrivant de Noisebridge, on a l’impression que tout est magnifiquement organisé ici…

La réalité est différente bien sûr. C’est toujours difficile de garder les outils bien rangés et en bon état. C’est pourtant notre priorité. Les inscriptions et emplois du temps sont également difficiles à gérer. Nous avons mis en place un calendrier pour satisfaire tout le monde, donc le management de l’endroit est important. On doit savoir à tout moment qui fait quoi : lui là-bas utilise la laser, elle a réservé pour un meet-up, lui il utilise la salle de conférence… C’est comme si tu avais 1100 membres dans ta famille et que vous partagiez tous la même maison, le même atelier, le même garage. Il peut y avoir des problèmes de communication.

Il y a des choses qui t’ont surpris quand tu es arrivé ici ?

Il y a beaucoup de groupes qui font des meet-ups ! Il y a un an un de nos employés a construit une ruche. On s’est alors rendu compte qu’il y a tout un mouvement d’apiculteurs à San Francisco. Certains font leur miel et le vendent. Il y a toute une vie associative en réseau autour de ça. En démarrant ici j’ai réalisé que quand quelqu’un a un intérêt spécifique, il est en fait rarement tout seul.

Tu es souvent présent dans les étages, ça fait partie de ton travail ici ?

Oui, notre staff est accessible. Je fais des rondes toutes les quinze minutes pour que nos utilisateurs puissent me dire comment leurs projets avancent. Les gens m’attrapent au passage, c’est assez informel. Ils échangent aussi beaucoup entre eux. Par exemple il y a un gros groupe de motards qui réparent leurs trucs ici. À force de parler avec ces gars, j’ai fini par en faire partie moi-même…

As-tu des exemples d’entreprises qui sont nées ici à TechShop ?

Square, un outil qui permet le paiement par carte bancaire en utilisant un iPhone comme terminal, ils ont démarré ici. Il y a aussi Type A, un groupe de jeunes qui ont commencé à Noisebridge et qui font des imprimantes 3D. Ils ont finalement réussi à négocier pour avoir une vraie partie d’atelier ici entièrement dédiée à leur fabrication. C’est le même scénario pour ProtoTank, ils font de l’électronique en tous genres. Ah et évidemment DODO Case ! Il y a aussi plein de projets qui ne sont pas allés jusqu’au marché mais qui ont su satisfaire une famille. Ce sont des projets qui ont un sens à une petite échelle.

Est-ce que tout le monde peut s’installer ici pour lancer sa production ?

Notre spécialité, c’est d’accompagner les gens qui ont une idée pour aller jusqu’au prototype pour une petite série. Mais quand un business a vraiment du succès, le risque c’est que les outils soient bloqués tout le temps pour cette production. Quand le projet devient plus gros, on aide nos membres à trouver un bon endroit pour implanter leur production ailleurs. SFMade est un bon partenaire pour ça. Nous travaillons avec notre réseau de makers : on leur envoie des nouveaux, ça donne de bonnes solutions.

Peux-tu nous expliquer ce qu’est un dream coach ?

C’est un nom stupide, mais c’est probablement ce qu’on fait de plus important ici. Quand quelqu’un arrive avec une idée, notre boulot dans l’équipe est de veiller à ce qu’il puisse s’épanouir et réaliser son rêve. Nous apportons une aide technique. Nous les présentons aussi à d’autres gens pour qu’ils s’associent, qu’ils trouvent des financements... Mais le plus important, c’est le soutien émotionnel qu’on leur apporte pour continuer le projet et aller jusqu’au bout. Les dream coaches encouragent et aident. Il ne s’agit pas que de garder la boutique en ordre et les outils fonctionnels.

Aux États-Unis, on est comme ça ! Le terme est naïf, c’est un peu Disney. Mais aider quelqu’un à croire en lui et en ses idées, c’est la base de l’innovation.

Faut-il prendre rendez-vous et payer des séances spéciales ?

C’est plutôt informel, mais certaines séances peuvent être programmées et payantes. C’est 95$ par heure pour une consultation. C’est beaucoup, mais les gens en ressortent avec des vrais conseils. Je travaille par exemple avec un groupe de designers en ce moment. Ils avaient presque fini leurs prototypes quand je les ai vus, juste avant qu’ils démarrent leurs premiers envois. Ils mettaient alors seize exemplaires de leurs produits dans leurs boîtes. En changeant légèrement la forme du produit on a pu en mettre vingt-quatre. On a revu leurs fichiers et la manière dont ils découpaient leurs pièces à la laser : ils ont fait des grosses économies sur leurs produits.

TechShop est un peu hors catégorie : ni un FabLab, ni un hackerspace… Comment tu vois le développement de nombreux hackerspaces et makerspaces gratuits autour de vous ?

Le jour de notre ouverture, on avait 15000 m2 de locaux et des machines pour 1 million de dollars. Dans ce mouvement des FabLabs et compagnie, TechShop occupe une partie plutôt business, c’est très clair. Nous avons des machines très performantes, c’est propre, c’est organisé.

Les hackerspaces sont vraiment organiques, ce sont des gens qui se rassemblent autour d’une passion commune, qui partagent les outils et un espace… Mais ils n’ont pas d’assurance par exemple. Nous avons un programme de sécurité, s’il y a un accident nous pouvons réagir comme il faut. Dans un hackerspace il faut que le club grossisse pour avoir plus de machines. À TechShop, c’est l’inverse, on commence par un énorme investissement et on rentabilise ensuite.

Tu fréquentes des hackerspaces, toi ?

TechShop, c’est un peu le Ikea des makerspaces. Mais j’ai une grande passion pour les hackerspaces. Il y a une place importante pour ce type de service et TechShop le fait très bien. Il y a quelque chose de spécial dans les hackerspaces qui me plaît : tu parcours l’espace et tu sens beaucoup de passion, une créativité hyper large. Et ils créent leurs outils et leurs solutions au fur et à mesure ! En fait, un des problèmes ici, c’est que comme nous proposons des outils très perfectionnés, les gens ont tendance à en vouloir toujours plus. Dans un hackerspace, c’est l’inverse. Quand quelqu’un arrive avec un besoin, la communauté essaie de trouver une solution soit en se procurant l’outil, en le fabriquant ou en contactant quelqu’un qui pourrait aider. Nous, c’est propre et prêt à utiliser. Mais il ne faut vraiment pas qu’on fasse de l’ombre à ces groupes qui tentent de créer leur propre économie et leur propre culture. Même si ça peut se passer dans n’importe quelle cave avec trois personnes, c’est tout aussi important.

Comment expliques-tu l’arrivée de TechShop dans le paysage des makers ?

C’est vraiment américain. Il s’agit de sentir l’échelle des choses. TechShop n’a de sens que si c’est grand. C’est bête mais c’est vrai : il y a des intérêts dans la culture américaine qui nous poussent à construire en grand, et à construire vite ("we want to build things large and we want to build things fast"). Mais il n’y a pas de compétition avec Noisebridge. Quand j’y vais, ils voient bien que je suis de leur côté, ils ne m’ont jamais viré !

Les membres de Type A, dont tu parlais tout à l’heure, ont commencé à Noisebridge. Nous avons vu leurs premiers prototypes là-bas lors de notre visite…

Oui ! C’est un exemple très intéressant de passage. À TechShop, on fait tout : des imprimantes 3D, des appareils photos, des moteurs de motos… À Noisebridge, ils sont plus software/hardware, c’est leur mission. Ici, nous rassemblons beaucoup de tendances différentes, chacun peut être sûr de trouver d’autres avec qui échanger sur ses spécialités.

Si TechShop est le lieu de naissance de nombreuses start-ups, quelle est la place pour l’open source ici ?

C’est très clair : les gens n’ont pas le réflexe de mettre en open source leurs idées. Le capitalisme américain n’est vraiment pas construit sur ce genre de principes : tu as une idée, tu la protèges, tu investis dedans, tu engages des avocats, tu fais des procès à tous ceux qui essaient de faire pareil, tu fais payer les gens pour avoir eu la même idée que toi. J’ai personnellement un projet actuellement en open source, un outil pour une moto. Au début, je gardais tout secret et je pensais le faire d’une manière classique, présenter un projet fini au public et le vendre. C’était cher. Les gens qui me suivaient ont commencé à demander si c’était possible d’avoir les informations pour le faire eux-mêmes. Je me suis rendu compte qu’en diffusant ça, je m’attirais leur soutien. Je donne de mon temps pour des workshops, des conférences et je suis bien plus heureux comme ça. Comment gagner de l’argent de cette manière, c’est la seule inconnue !

Est-ce que vous essayez de promouvoir ces idées-là ici ?

TechShop ne prendra jamais position sur la question. L’open source a encore une longue route à faire avant d’être rentable. Enfin, à titre personnel, j’ai tellement plus de plaisir avec mon projet en le partageant gratuitement. J’ai construit une confiance, des gens se sont impliqués avec moi. Et même si c’est incertain et que la communauté des usagers est bien divisée sur ce point, je suis un believer !

Texte : Creative Commons, photographies : © Camille Bosqué.

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