Le geste de repasser
documents arts ménagers

DOCUMENT : Le Repassage au fer, documents arts ménagers, n° 3, juin 1957.

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Le philosophe Vilém Flusser a décortiqué de nombreux gestes (parler, écrire, détruire, se raser, planter, peindre...) mais, hélas, consacré aucune étude au geste de repasser – pourtant particulièrement complexe et délicat.

« Remettre en forme un fatras de couleurs qui se préparaient à retourner à la sauvagerie des hordes, des collines et des cieux »


– pour reprendre la terminologie fleurie d’Eugène Savitzkaya – fut une tâche exclusivement féminine, répétée presque quotidiennement : « le tas de linge jamais ne diminue. On dirait que, vivant, il fermente et lève », rappelle encore le poète, qui avoue en effet ne pas pétrir tous les jours, pour filer sa métaphore :

« Quand je repasse, les rares fois où cela m’arrive, je repasse comme j’ai vu faire, dans le grand silence où je suis le seul ouvrier. J’accomplis un exploit, car je rends vie aux dépouilles et je défroisse des papyrus afin d’en étaler, à la vue de tous, les étonnantes cosmogonies. Je pose à plat sur le champ grillagé l’écu manifeste du fer. Je fabrique des blasons. À vrai dire, je blasonne chaque fois que je repasse. Je ne peux pas m’en empêcher. Je suis lent par nature et je dois me nourrir de figures qu’il me faut découvrir en tous lieux. Mais le travail consiste à effacer les traces et les figures. Il s’agit de faire surgir du fouillis la silhouette humaine, dans sa grâce et sa fragilité. La silhouette grotesque. »

Michelle Perrot (Traverses, n° 40, avril 1987) a finement analysé comment le geste de repasser s’inscrivait dans les transmissions de pratiques incombant aux femmes, plus liées au régime de la maintenance qu’à celui de la possession : « Plus qu’à l’écrit interdit, c’est au monde muet et permis des choses que les femmes confient leur mémoire. Non aux prestigieux objets de collection, affaire d’hommes soucieux de conquérir par l’accumulation de tableaux ou de livres la légitimité du goût. Au XIXe siècle, la collection, plus encore la bibliophilie, sont des activités masculines. Les femmes se rabattent sur plus humble matière : le linge ». L’historienne et militante féministe précise : « Le trousseau, soigneusement préparé dans les milieux populaires, ruraux surtout, est "une longue histoire entre mère et fille". La confection du trousseau, c’est un legs de savoir-faire et de secrets, du corps et du cœur, longuement distillés. L’armoire à linge est à la fois coffre-fort et reliquaire.

L’épaisseur des draps, la finesse des nappes, le marquage des serviettes, la qualité des torchons prennent sens dans une chaîne de gestes répétés et festonnés. »


Dans la lignée des manuels d’éducation ménagère de l’époque, désireux de catalyser la transmission de ces savoirs domestiques en les adaptant à la société industrielle, la revue Arts ménagers publie à partir de février 1957 une série de numéros spéciaux dédiés à « un seul sujet, minutieusement étudié, clairement présenté, éminemment utile ». Très travaillée, la mise en page de documents arts ménagers est due à Marcel Doignon. La direction de la rédaction est quant à elle confiée à Marianne Marsily, bientôt responsable des célèbres Guides pratiques de La Redoute.

Paru en juin 1957, le troisième numéro des documents arts ménagers est justement consacré au « Repassage au fer ». Sur près de 60 pages illustrées en bichromie, le geste mimétique devient un geste technique (toujours gracieusement exécuté en talons aiguilles), détaillé par un Professeur d’enseignement ménager de la ville de Paris. Dans les dernières pages de ce manuel, avant quelques réclames publicitaires, Suzanne Tardieu, attachée de recherche au CNRS, en poste au Musée des arts et traditions populaires, donne au geste de repasser une dimension ethnographique en présentant une sélection d’étonnants « objets domestiques des provinces de France » - devenus exotiques pour ce lectorat progressiste.





Portfolio mis en page par Sophie Cure. Texte : la rédaction.

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